Interview pour Forbes Colombia
Voici une nouvelle interview exclusive de Shakira, réalisée pour le magazine Forbes Colombia. Cet article retrace sa carrière dans les grandes lignes. On y apprend notamment notamment d’avantage concernant son aspect de femme d’affaires et les entreprises dans lesquelles elle a souhaité investir ou soutenir. L’interview est accompagnée d’une superbe photo capturée par le talentueux Nicolas Gerardin.
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L’Empire de la Louve : comment Shakira a construit un héritage au-delà des scènes
José Caparroso – 14 février 2025
Dans une interview exclusive avec Forbes, Shakira révèle comment elle a construit un héritage qui transcende les scènes. Avec plus d’un million de billets vendus pour sa nouvelle tournée, elle continue de battre des records.
Le moment exact où Shakira a ressenti qu’elle rencontrait du succès n’a pas de date précise ni d’heure définie. Son histoire ne se résume pas à un seul instant d’épiphanie, mais plutôt à une série d’épreuves, de petits triomphes et de rejets précoces qui ont forgé son destin.
Dès son jeune âge, elle a été applaudie avec la même intensité qu’elle a été incomprise. Sa voix grave et son style singulier ne correspondaient pas aux normes de l’époque, mais elle a persisté. Elle a persisté avec la détermination de celle qui sait que sa place n’est pas une possibilité, mais une certitude.
Aujourd’hui, sa biographie est tissée d’étapes marquantes qui ne peuvent appartenir qu’à une trajectoire d’exception : des hymnes qui ont résonné lors d’événements monumentaux tels que les Coupes du Monde de football et le Super Bowl, des récompenses qui la placent parmi les artistes les plus décorées de la musique, des records apparemment inaccessibles. Mais elle est aussi marquée par son impact en dehors de la scène : des écoles construites dans des communautés où l’avenir semblait compromis, des causes qui ont porté son nom au-delà des projecteurs.
« Le succès, c’est être libre et maîtresse de ta vie », dit Shakira dans son entretien avec Forbes, alors qu’elle se préparait pour les Grammy Awards à Los Angeles, où elle a reçu le prix du Meilleur Album Pop Latino. Les jours précédents avaient été une véritable tornade de répétitions à Mexico, où elle peaufinait les derniers détails de sa tournée mondiale très attendue. « Je l’ai ressenti quand ma musique n’a plus été seulement la mienne, mais qu’elle a commencé à appartenir au monde. »
Peut-être que le succès, plus qu’un objectif, était son destin inévitable. Lorsque Shakira parcourt le monde, son public est prêt à l’accueillir. Lors de sa dernière tournée, en 2018, elle a rapporté en moyenne 1,6 million de dollars par concert, atteignant même jusqu’à 2,8 millions lors des plus remarquables, selon les registres de Pollstar Pro.
Aujourd’hui, lors de sa septième tournée internationale dans les stades, le « Las Mujeres Ya No Lloran World Tour », portant le nom de son dernier album, l’effervescence est encore plus grande. Cette phase de la tournée passera par 29 villes, avec 11 étapes en Amérique Latine et 18 aux États-Unis et au Canada. La demande a été écrasante : plus d’un million de billets ont déjà été vendus.
« Je savais que ça serait grand, mais ce qui se passe est d’une autre dimension. Les femmes prennent le contrôle, et ça se ressent dans chaque stade », exprime Shakira.
Le spectacle, d’une durée de plus de deux heures, propose des arrangements de ses plus grands succès, rafraîchis et adaptés pour le show, presque comme s’il s’agissait de la bande-son d’un film. Elle le décrit comme le plus grand spectacle de sa carrière.
« C’est un spectacle viscéral, plein d’énergie et d’émotions », dit Shakira. « Je voulais que chaque chanson frappe fort et laisse une marque. »
Shakira est en couverture de février de Forbes Colombie. Photo : Nicolas Gerardin, pour Sony Music Colombie / Forbes.
Sa réputation de perfectionniste n’est pas gratuite. Ceux qui travaillent avec elle sont stupéfaits par ses connaissances dans chaque aspect du montage : lumières, son, chorégraphies, visuels et scénographie.
« Elle écoute et assimile, mais c’est elle qui décide de ce qu’elle va faire », explique quelqu’un de son entourage.
L’artiste le confirme en décrivant ses journées de travail comme intenses.
« Je suis exigeante, mais juste. J’aime que tout coule, mais quand quelque chose ne va pas, je le dis », insiste Shakira. « Je ne m’arrête pas tant que je ne sens pas que tout est parfait. Ma journée est toujours remplie de répétitions, de créativité et d’une concentration totale. »
Cette tournée a ouvert de nouveaux records dans son histoire, confirmant que son impact ne connaît aucune limite. Au Mexique, elle a battu des records en vendant toutes les places pour sept concerts au Stade GNP Seguros, dépassant le précédent record de Taylor Swift, qui avait rempli quatre concerts dans le même stade. En Colombie, elle est devenue la première artiste à visiter cinq concerts dans des stades pendant une même tournée dans le pays. En Amérique du Nord, la tournée, initialement prévue pour des arénas, devait commencer en novembre, mais la demande a conduit l’équipe à repousser le début pour déplacer les concerts dans des stades.
Depuis fin 2022, l’équipe de Shakira a commencé à coordonner les lieux, s’assurant qu’ils répondaient à toutes les exigences spéciales liées à l’aspect technologique et innovant du spectacle. En Colombie, où la production est assurée par Páramo Presenta et Ocesa, des filiales de Live Nation, l’entreprise en charge de la tournée, chaque concert implique le travail direct de 2 500 personnes.
« Quand Shakira a été prête à revenir sur scène, nous avons su que nous avions l’opportunité de faire de son retour une production de stade de premier ordre et une expérience inoubliable pour les fans du monde entier. La demande a été indéniable dès le début, avec 18 dates dans les stades d’Amérique Latine vendues en moins de deux heures », explique Colin Lewis, vice-président senior des tournées mondiales de Live Nation, à Forbes. « Cela témoigne de son impact durable et de la connexion profonde qu’elle a avec ses fans à travers le monde. C’est une icône mondiale et une artiste exceptionnelle en live. »
Shakira a franchi les barrières linguistiques, obtenant une portée mondiale. Photo : Nicolas Gerardin, pour Sony Music Colombie / Forbes.
Comme un fil invisible qui traverse le temps, la musique de Shakira a évolué sans perdre son essence. Depuis ses premières chansons, enregistrées sur des cassettes et vinyles, jusqu’à sa domination de l’ère numérique, elle a survécu à des comparaisons avec d’autres artistes pendant quatre décennies. À 48 ans, elle a su s’adapter à chaque époque, naviguant entre pop, rock, ballades, rythmes tropicaux et la puissance des rythmes urbains, sans que son écho ne s’éteigne.
« Explorer sans peur », affirme-t-elle sur sa capacité à se réinventer. « Le secret, c’est de t’adapter, de surprendre, mais sans perdre cette étincelle qui te rend unique. »
Sur Spotify, où elle dépasse les 59 millions d’auditeurs mensuels, 70 % de son public a moins de 34 ans. Ses chansons sont jouées 7 000 fois par minute sur la plateforme à l’échelle mondiale. Quatre de ses titres ont franchi la barre du milliard de reproductions : « Hips Don’t Lie » (avec Wyclef Jean), « TQG » (avec Karol G), « Chantaje » (avec Maluma) et « Shakira: Bzrp Music Sessions, Vol. 53 » (avec le producteur Bizarrap). En outre, en combinant toutes les plateformes, son récent morceau « Soltera » accumule plus de 400 millions de reproductions.
« Les chiffres sont intéressants, mais pour moi, ce qui compte, c’est comment une chanson touche les gens », assure Shakira. « Le véritable impact ne se mesure pas en chiffres. »
Sa domination mondiale n’est pas non plus une coïncidence. C’est une de ces personnes qui, lorsqu’elle voyage dans un nouveau pays, étudie les mots de la langue locale. On l’a entendue parler en italien, en français, en catalan et en arabe, en plus de sa maîtrise de l’anglais, du portugais et de l’espagnol.
Selon Shakira, sa curiosité permanente l’a amenée à « découvrir des cultures ».
Sur YouTube, « Waka Waka », son hymne pour la Coupe du Monde de football en Afrique du Sud 2010, est la chanson la plus vue de l’histoire d’une artiste féminine, avec plus de 4 milliards de vues, sans compter la version en espagnol qui dépasse le milliard. Son public s’étend à travers le monde, avec le Mexique, les États-Unis, l’Espagne, le Brésil, l’Argentine, l’Allemagne, le Chili, la Colombie, le Royaume-Uni et la France comme les pays qui l’écoutent le plus en streaming, ce qui reflète son impact qui traverse les frontières de toutes les langues.
Au-delà d’être une artiste, Shakira est mère de deux enfants, philanthrope et femme d’affaires.
Après avoir surmonté l’épisode avec l’administration fiscale espagnole en 2023, Shakira a continué à consolider sa présence dans le monde des affaires
Récemment, elle a participé à des campagnes publicitaires pour des marques de renommée internationale, telles que la société technologique Epson, la plateforme de voyages Despegar, la marque de sandales Ipanema et la chaîne de restaurants et hôtels Hard Rock. De plus, elle reprendra son rôle de voix de Gazelle dans « Zootopia 2 », le film de Disney qui sortira cette année, après avoir incarné le personnage dans le premier opus.
Dans l’univers des affaires, elle a prouvé un flair pour les investissements aussi affûté que son talent artistique. Depuis 2008, sa marque de parfums ‘S’ by Shakira, gérée par Puig, a étendu sa présence dans le secteur de la beauté.
Son parcours d’investisseuse est également remarquable : en 2017, elle a investi dans Wonder, une startup de jeux vidéo mobiles qui a été rachetée en 2020 par Atari, dans une transaction dont la valeur n’a pas été révélée.
Au fil des années, elle a diversifié son portefeuille avec des investissements dans des startups comme High Brew Coffee, spécialisée dans les boissons énergétiques à base de café ; The Citizenry, une marque de décoration ; Parade, axée sur la lingerie inclusive ; Magic Spoon, producteur de céréales saines ; Spirit Fork, une entreprise de vélos et SkinnyDipped, une marque de snacks aux amandes avec des saveurs innovantes.
De plus, elle a investi, aux côtés d’autres célébrités, dans les sociétés de capital-risque Constellation Capital et LMS Ventures.
« J’aime investir dans des marques avec lesquelles je me connecte, surtout si elles génèrent un impact positif », confie Shakira, surnommée ‘la louve’ par elle-même dans plusieurs de ses chansons.
La Fondation Pies Descalzos de Shakira a construit et intervenu dans 16 écoles dans plusieurs régions de Colombie. Photo : Fondation Pies Descalzos.
Alors que dans le monde, son nom est synonyme de gloire, à Barranquilla, sa ville natale, Shakira Mebarak Ripoll fait partie de l’âme locale. Son histoire est abordée dans les classes des écoles, ses chorégraphies sont reprises dans les comparsas (groupes de danseurs participant aux carnavals en Amérique Latine ndlt), son image s’élève dans deux monuments – le plus haut mesurant 6,5 mètres dans le lieu le plus visité de la ville – et cette année, le Carnaval de Barranquilla, qui attire chaque année des centaines de milliers de spectateurs, lui rend hommage.
De là viennent les influences de son éducation. De sa mère, Nidia Ripoll, professeure, on dit qu’elle a hérité de l’intelligence émotionnelle et de l’intuition. De son père, William Mebarak, commerçant, on dit qu’elle a hérité de la curiosité intellectuelle et de l’amour de la culture. Mais de leurs deux côtés, elle a reçu la sensibilité sociale et la conscience de son environnement.
Depuis son enfance, sa vision du monde a été façonnée par la clarté avec laquelle ses parents lui parlaient. Lorsqu’elle a demandé pourquoi il n’y avait pas de télévision chez eux, ils lui ont expliqué qu’ils avaient dû la vendre. Lorsqu’elle a interrogé si la famille était pauvre, ils l’ont emmenée découvrir la réalité des quartiers les plus vulnérables de Barranquilla. Cette expérience l’a marquée à jamais. Depuis ce jour-là, elle proclamait que, lorsqu’elle serait grande, elle s’occuperait de nourrir et d’éduquer ceux qui en avaient le plus besoin.
En 1997, lorsque sa carrière commençait à peine à décoller à l’international, elle a fondé la Fondation Pies Descalzos avec un objectif clair : transformer la vie des enfants et des jeunes en situation de vulnérabilité par l’éducation.
Depuis lors, la fondation a construit et rénové 16 écoles dans cinq départements de Colombie, couvrant plus de 72 000 mètres carrés et bénéficiant à plus de 250 000 enfants et jeunes, ainsi qu’à leurs communautés. Il ne s’agit pas seulement d’infrastructure, mais d’implémenter des modèles éducatifs innovants pour garantir un impact durable.
Shakira en est convaincue : l’éducation est la clé du changement social. Lors d’un discours à l’Université d’Oxford, elle a cité des études montrant qu’une année supplémentaire d’éducation primaire peut augmenter les revenus d’une personne de 10 % à 20 %, et que chaque dollar investi dans le développement de l’enfant en bas âge rapporte 17 dollars à la société.
Pour rendre cela possible, la fondation, qui offre également de l’alimentation, a tissé des partenariats avec des gouvernements locaux, la coopération internationale et des organisations telles que la Fondation Qatar et la Fondation Santo Domingo. Elle a ajouté à sa cause des magnats comme Howard Buffett et Alejandro Santo Domingo.
« Voir des enfants qui n’avaient pas d’opportunités avant maintenant rêver en grand, c’est plus puissant que n’importe quelle récompense », réfléchit Shakira.
Actuellement, Pies Descalzos travaille sur la construction de quatre nouvelles écoles en Colombie, étendant ainsi son impact.
« Elle est un leader mondial qui permet aux processus de Pies Descalzos d’être agiles et aux partenariats d’être beaucoup plus efficaces et efficients dans le pays », affirme Patricia Sierra, directrice de la Fondation Pies Descalzos. « Elle s’investit beaucoup dans la fondation, elle est vraiment intéressée par ce qui se passe. Ce n’est pas seulement la quantité de ressources qu’elle met, elle pense la fondation, elle veut savoir ce qu’il se passe avec les enfants, jusqu’où nous pouvons aller, parce qu’elle veut parfois résoudre la vie de chaque enfant. »
En attendant, Shakira continue d’élargir son héritage, en dirigeant un mouvement d’émancipation qui résonne.
« Maintenant, nous sommes sur le plateau, nous bougeons les pièces et nous gagnons », dit-elle, en parlant des femmes qui réussissent. « Nous ne demandons plus la permission, nous prenons ce qui est à nous. »